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CAN 2024 : Mali et Burkina Faso, les frères putschistes s’affrontent en huitièmes de finale

Le match Mali-Burkina Faso, en huitièmes de finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) mardi 30 janvier à Korhogo, est plus qu’un derby entre voisins. L’opposition entre les deux pays sahéliens s’apparente à un duel entre jumeaux. Si les deux pays se sont fait la guerre en 1974 puis entre 1985 et 1986, ceux-ci vivent depuis une dizaine d’années une trajectoire parallèle : attaques djihadistes, déstabilisation politique, coups d’Etat, rupture avec la France et rapprochement avec la Russie.
Le Mali avait ouvert le bal des putschs en août 2020, suivi du Burkina Faso en janvier 2022. Les militaires qui dirigent respectivement les deux pays, le colonel Assimi Goïta au Mali et le capitaine Ibrahim Traoré au Burkina Faso, ont pris le pouvoir en renversant leur prédécesseur lui-même arrivé aux commandes après un coup d’Etat. Dans cette nouvelle alliance putschiste qui se dessine au Sahel, Assimi Goïta apparaît comme un précurseur taiseux quand Ibrahim Traoré fait figure d’impétueux cadet. Signe de leur entente et de leur volonté d’unir leur destin, ils ont conjointement annoncé, le 28 janvier, avec leur homologue nigérien leur décision de quitter la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
Pour mesurer l’évolution en cours depuis l’arrivée des militaires au pouvoir, les chants et les tenues des supporteurs sont un indicateur assez fiable. Dès le début de la CAN, la délégation malienne, envoyée par le ministère des sports, n’a pas tardé à montrer son soutien au colonel putschiste. « Assiiiimi, Assiiiimi ! », scandaient en chœur les supporteurs lors du premier match victorieux des Aigles du Mali contre les Sud-Africains (2-0), le 16 janvier, dans les travées du stade Amadou Gon Coulibaly de Korhogo.
Parés pour certains de tenues militaires colorées et même de maillots floqués « Assimi », ils avaient échangé un salut militaire avec les joueurs en fin de match. « Les supporteurs ont demandé aux joueurs de faire ce salut militaire après chaque but, explique Baba Cissouma, directeur général de la radio malienne Maliba FM à Bamako. Aujourd’hui, tu chantes à la gloire d’Assimi, tu es accepté. On est fier du président. Au Mali, la fibre patriotique est au summum. »
Assimi Goïta est présenté par le journaliste comme « un grand fan de football ». Depuis son arrivée au pouvoir, plusieurs stades ont été rénovés comme celui du 26 mars à Bamako. Un autre doit sortir de terre à Tombouctou. Dans un contexte de nationalisme exacerbé, la sélection est une priorité pour la junte au pouvoir. Les Aigles ont ainsi pu préparer sereinement leur compétition : un hôtel cinq étoiles construit pour eux a vu le jour en décembre à Bamako ainsi qu’un centre destiné aux sportifs de haut niveau et un nouveau terrain d’entraînement.
« Nos autorités ont compris l’importance sociale du football. Il est l’opium du peuple », confie Djibril Traoré, conseiller du président de la Fédération malienne de football. « Le pays n’a pas eu d’outil de travail de haut niveau durant des années, poursuit Cédric Kanté, ancien capitaine de la sélection malienne. Les nouvelles infrastructures profitent aujourd’hui à l’équipe nationale, au championnat local et aux académies… Les problèmes politiques n’ont pas permis à la fédération d’avoir une vision à long terme. Désormais, ça tend à se professionnaliser. »
Les succès du Mali durant le premier tour de cette CAN sont aussi un remarquable instrument de communication pour le pouvoir en place. « Le football pour les autorités, je dirais que c’est de l’opportunisme, pense Sékou Tangara, directeur de l’information chez Africable, chaîne de télévision panafricaine basée à Bamako. Elles ont compris que le football était très important pour les populations et qu’une victoire des Aigles offre plusieurs semaines de quiétude sociale. Les gens oublient les problèmes du quotidien comme les coupures d’électricité à répétition. »
Les Maliens, comme leurs voisins burkinabés, pourront compter à Korhogo et dans le reste de la Côte d’Ivoire sur le soutien de leur considérable diaspora. Environ 3 millions de Maliens et au moins autant de Burkinabés résident dans ce pays, selon les chiffres officiels. Les ressortissants des deux pays se côtoient dans la grande ville du nord ivoirien, où ils travaillent souvent dans les mêmes secteurs d’activité : le commerce et le transport. Les frontières des deux pays sont à moins de 150 kilomètres, ce qui promet une affluence importante dans le stade de 20 000 places construit pour la CAN.
Depuis le début du tournoi, les Etalons du Burkina Faso se disent « galvanisés » par leurs retrouvailles avec leurs supporteurs. Ceux-ci jouent, depuis trois ans et la suspension par la Confédération africaine de football du stade du 4 août de Ouagadougou, leurs matchs à domicile en dehors du Burkina Faso, principalement au Maroc.
Enthousiastes, les Burkinabés eux n’agitent pas de symboles militaires dans les gradins. « Nous n’avons pas besoin de faire cela pour que le président sache que nous adhérons à sa politique », assure le supporteur des Etalons Roger Zami. Les soutiens des deux équipes se sont rencontrés avant le match pour partager quelques signes d’amitié. Certains ont même prévu de s’échanger leurs écharpes. « Ce sont nos frères, nous avons des trajectoires, une géographie et une société similaires, nous sommes liés », poursuit le supporteur.
Les liens du Mali et du Burkina Faso avec la Côte d’Ivoire, pays organisateur de la CAN, sont en revanche distendus. La relation entre Bamako et Abidjan s’est crispée entre juillet 2022 et janvier 2023 lorsque 49 soldats ivoiriens venus dans le cadre des Nations unies ont été faits prisonniers au Mali, accusés d’être des mercenaires venus déstabiliser la transition malienne. Elle est à peine meilleure entre Ouagadougou et Abidjan depuis le coup d’Etat d’Ibrahim Traoré. Ce dernier perçoit Abidjan comme le refuge de ses ennemis quand la Côte d’Ivoire lui reproche de ne pas tenir ses promesses sécuritaires.
Dans ce contexte géopolitique tendu, un quart de finale proposera assurément un affrontement à la charge symbolique forte puisque le vainqueur du match Mali-Burkina Faso sera opposé à la Côte d’Ivoire à Bouaké, ville carrefour de ses deux diasporas.
Pierre Lepidi et Youenn Gourlay(Yamoussoukro, envoyé spécial)
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